En dé-coupage…
L’art de découper pourrait se résumer par cette phrase de Bruno Munari, créateur italien prolifique :
Conserver toute sa vie l’enfance en soi signifie : garder la curiosité de connaître, le plaisir de comprendre, le désir de communiquer.
Bien sûr, on n’a pas l’enfance qu’on veut, mais on n’a pas non plus l’enfance qu’on peut, on a une enfance. Durant toute ma vie professionnelle j’ai aidé les enfants à se comprendre pour s’accepter, je tente d’en faire autant à mon propos et j’interroge l’importance que le papier a toujours eu pour moi.
Ne dérange pas ton père, il est dans ses papiers.
Pour ne pas déranger, il faut être sage, sage comme une image, pour être aimé, il faut « être dans les petits papiers des autres »
Force des mots.
Les autres ce fut pour moi, ceux qui étaient dans le papier, je n’avais pas accès aux œuvres ; les auteurs, les peintres, les poètes, tous les plasticiens, ceux qui ont constitué cette curiosité de connaître. Je suis allée à leur rencontre comme on apprend à marcher.
Dix ans, premier argent de poche, à l’âge des bonbons, je cours au bureau de tabac, presse, confiserie pour dépenser mon pécule, je regarde et je choisis d’acheter la revue Grands Peintres, l’Express et le magazine Elle.
Plaisir de comprendre… sans savoir ce que je cherche.
Et voilà, ce soir, grâce à Philippe Turrel, la dernière étape : réponse au désir de communiquer. D’après Munari, la boucle est bouclée.
Il y a longtemps que j’ai opté pour le papier, j’ai fabriqué des abat-jour, des poupées avec des emballages divers, j’ai réalisé de l’art mail, des pliages.
J’ai toujours aimé cette matière forte et fragile, cette matière pauvre que l’on peut sublimer, expressive et malléable.
Une longue hospitalisation m’a contrainte à passer des heures en face à face avec la reproduction d’une œuvre de Kandinsky accrochée au mur de ma chambre.
L’immobilité forcée dans laquelle je me trouvais et l’immobilité de cette œuvre sont vite devenues aussi insupportable l’une que l’autre.
Les magazines des salles d’attente, mes ciseaux à ongles et un rouleau de papier adhésif ont été mes premiers outils.
Ce Kandinsky va vivre de multiples transformations, cette même reproduction deviendra des œuvres diverses selon mes états d’âme et grâce mon matériel improvisé.
Le collage ne m’a plus jamais quittée, je n’ai jamais plus quitté le collage.
Découper c’est séparer, coller c’est dé-couper.
Découper retranche et coller assemble.
Va et vient comme dans la vie de chacun, entre rupture et re composition.
J’agis en autodidacte, en artisan, même si tous les grands noms de cette discipline et de bien d’autres ont nourri, sans aucun doute, mon imaginaire : je compile les magazines, je feuillette, j’émiette, je tente des classements par thèmes.
Le tableau commence par un coup de foudre pour une image, je construis alors autour de celle-ci sans but précis et l’histoire peu à peu se dessine, seule la construction me réclame de l’exigence. L’équilibre, les couleurs, les lignes me guident.
Certains collages restent des mois en chantier, je sais qu’il manque un élément dans la construction et un jour Euréka, en feuilletant une revue, l’image est là.
Je peux alors écrire le mot fin comme dans toutes les histoires et le titre s’ajoute tout naturellement à la narration.
Ce travail évidemment me ressemble, humour, décalage, j’ose dire poésie, mon envie de raconter des histoires tout en disant ma vérité est là aussi, et puis, névrose oblige, ce petit côté obsessionnel qui trouve là du positif.
Je suis, souvent moi-même, surprise de cette magie qui opère et qui répond à ma volonté d’esthétisme.
Mon plus grand bonheur serait que mes tableaux racontent à chacun l’histoire qu’il souhaite, qu’il espère, en toute liberté.